Le tourisme sous le feu de la critique - Corse - Mardi 28 août 2018 @CorseMatin

Riverains de sites touristiques mais aussi commerçants et professionnels du secteur : de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les nuisances dues à l’industrie des loisirs. Problème : comment agir efficacement sans se passer d’une manne qui représente près du quart du PIB insulaire ?

Apparts corrects à l'année introuvables car loués sur Airbnb, embouteillages, émissions de fumées de ferries à outrance, occupation du domaine public, emplois de pinz saisonniers payés à calci in culu ; Quelqu’un pour me rappeler quels sont les si grands bienfaits du #tourisme ?" : la vague anti-tourisme qui s’est emparée de plusieurs régions du monde déferle sur les réseaux sociaux insulaires. Chaque année, supportée avec plus ou moins bonne grâce, la période estivale est devenue intolérable pour certains Corses.
À l’origine du ras-le-bol : la surfréquentation l’été d’une île dépourvue d’infrastructures pour gérer le flux. Bavella, le lac de Melo, Porto-Vecchio, Bonifacio, les Lavezzi... autant de sites emblématiques qui débordent de touristes, de cars et de mobile-homes. Le maquis est balisé de morceaux de papier toilette, les routes sont saturées, les distances comptent double, la mer est polluée de matière fécale… -
La liste des méfaits pèse lourd.
Les défenseurs de l’environnement tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme. "Chaque année, on interpelle les autorités mais au final, il semblerait que ça n’inquiète pas grand monde. On laisse le domaine public occupé, les bateaux viennent cracher leur fumée, les déchets s’accumulent. L’environnement en prend un coup et tout ça pourquoi ? Les retombées économiques sont-elles si importantes qu’elles justifient toute cette pollution ?", s’interroge ainsi Muriel Secondi de l’association Le Garde.

"Bonne nouvelle : ils ont tous un billet retour"

Les commerçants, pourtant parmi les premiers bénéficiaires du tourisme, s’y mettent aussi : "On les voit défiler dans la rue, ils sont toujours nombreux mais ils n’achètent rien. Ils déjeunent sur les bancs, laissent leurs poubelles et descendent sur la plage. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont un billet retour", lance ainsi une commerçante installée face à la place du Diamant, à Ajaccio.
Le tourisme, une industrie néfaste et perverse qui épuise le monde ? C’est la théorie de Rodolphe Christin, auteur de L’usure du monde, critique de la déraison touristique (éditions L’Échappée) : "Le tourisme détruit à la fois sur le plan social et environnemental. Face à ses dérives et aux réactions des villes comme Venise, Dubrovnik ou encore Barcelone, certains professionnels se remettent désormais en question et s’interrogent sur les solutions qui éviteraient la création d’enclaves réservées aux touristes et désertées par les habitants." Pour le sociologue, le tourisme tue l’idée même du voyage, de la rencontre et crée un phénomène de folklorisation : "Les Corses se mettent à vendre l’image que les touristes ont d’eux, comme les Indiens d’Amérique."
Et plutôt que de créer des infrastructures capables d’endiguer les flux, le sociologue prône un moratoire sur les grands projets d’aménagement touristique : "Il faut nous arrêter et réfléchir aux conséquences de ce qui est devenu l’élément central d’un mode de vie d’une société de consommation capitalistique."
L’universitaire l’avoue : il n’a pas de réponse à la question cruciale du remplacement d’une industrie, qui dans une région comme la Corse compte pour pas moins de 24 % du PIB. "Il pèse très lourd mais crée une économie très fragile. Et de façon générale, tout miser sur le tourisme est une erreur fondamentale. Ce sont les politiques qui doivent nous proposer une décroissance touristique", s’empresse-t-il d’ajouter.

"Il y a une part d’hypocrisie dans le tourisme durable"

Côté politique en Corse, l’agence du tourisme, épinglée par la chambre régionale des comptes pour son efficacité jugée discutable entre 2012 et 2016, a présenté sa nouvelle "feuille de route" en avril dernier. Son directeur, Daniel Charavin, en résume les grandes lignes : "Nous mettons tout en œuvre pour être compétitif sur un marché très concurrentiel. Pour ce faire, nous nous détachons du tourisme de masse et tablons sur l’image d’une île verte, avec des petites structures hôtelières et un étalement des saisons pour limiter l’impact sur l’écosystème. Il faut répartir les 3 millions de touristes dans le temps et dans l’espace. Voire envisager, sur les sites les plus fréquentés, des infrastructures payantes. Le rôle de l’agence du tourisme de la Corse est notamment d’accompagner les collectivités locales qui souhaitent mieux gérer ces flux."
De son côté, Rodolphe Christin ne croit pas à l’avenir du tourisme durable prôné par l’ATC : "Il y a une part d’hypocrisie, d’effet de mode. Cette notion donne un vernis d’éthique au phénomène. Il crée des infrastructures et ne peut donc pas être durable bien longtemps."
Pour l’économiste Guillaume Guidoni, si le tourisme engendre de la précarité sociale, il reste malgré tout le secteur le plus important de l’économie insulaire et injecte des capitaux essentiels. "On ne peut pas tout arrêter, sauf à avoir un positionnement idéologique et utiliser le tourisme comme catalyseur pour défendre une doctrine anticapitaliste." L’économiste note aussi que toute concentration d’activités engendre ce type de rejet : "Je ne connais aucune grande activité sans inconvénient. C’est le cas de l’agriculture dans certaines régions ou de la surpêche dans d’autres. L’enquête aux frontières menée par l’ATC et l’Insee, publiée en juillet, donne une image assez précise de la fréquentation et de ses retombées économiques. Il faudrait créer des infrastructures sur certains sites surfréquentés et les intercommunalités envisager la meilleure façon de les protéger." Et l’économiste de conclure : "On peut réfléchir à un autre modèle pour le tourisme mais je ne vois pas comment nous pourrions en faire l’impasse. À moins de changer radicalement de société."
CAROLINE MARCELIN


Balagne : des bouchons à n’en plus finir

Chaque année, c’est la même histoire. Au plus fort de la saison touristique, les entrées de L’Île-Rousse et Calvi sont littéralement saturées par les embouteillages. Le moment critique se situe vers 11 h-12 h et 17 h-18 h.
En outre, l'affaire n'est pas nouvelle. Il n’empêche malgré tout que la traversée de L’Île-Rousse en hiver se passe, la plupart du temps, beaucoup plus sereinement qu’en été où l’on peut mettre jusqu’à 1 h 30 juste pour traverser la ville. De même que Calvi, qui connaît une situation tout aussi compliquée.
Dans le cas de L’Île-Rousse, les décideurs politiques avaient envisagé de créer une déviation : premièrement par la réalisation d'un barreau routier pour relier la T30 et l'allée des Platanes, puis d'un second barreau afin de poursuivre la circulation dans le sens Bastia-Calvi. Venait ensuite la création d'une voie nouvelle en deux parties, dont la seconde est un tunnel qui déboucherait sur la commune de Corbara à Fogata. Cependant, l’initiative, pour l'heure, est au point mort. De ce fait, il semble que les automobilistes n’ont pas fini de patienter. LESLIE MARY

Sartenais-Valinco : le conservatoire gardien de la plage de Capolauroso

Les touristes qui posent leurs imposants quatre roues sur la plage de Capolauroso auront la saison prochaine maille à partir. Tout le secteur (de l'hôtel jusqu'à la stèle et l'embouchure puis en montant vers la Paratella), qui appartenait aux communes de Propriano et Sainte-Marie Figganiella, a été racheté cette année par le Conservatoire du littoral de Corse. Depuis longtemps déjà, les camping-cars, quads, 4x4, voitures et autres véhicules passent sur le sable ou viennent stationner sur la plage, dont une partie au niveau de l'embouchure qui est une zone Natura 2000. La plage de Capolauroso est fréquentée par près d'un millier de personnes par jour au plus fort de la saison estivale. Un vrai programme de protection va voir le jour en 2019 : des zones de plantations ont été définies, où seront installées des ganivelles. Une voie verte est en projet, avec un passage pour les promeneurs et cyclistes. Capolauroso abrite une plante endémique, la buglosse, une fleur des dunes, souvent détruite par le passage des imposants quatre roues. Surfréquentation, circulation, incivilités ont conduit le Conservatoire du littoral à prendre les mesures nécessaires pour que ce cadre enchanteur, très prisé par les locaux également, soit préservé encore longtemps. A.-F. I.

Porto-Vecchio et le sud de l’île face à l'"ubérisation" du tourisme

Avec l'apparition des sites de locations de particuliers à particuliers, Airbnb et autres Homelidays, Le Bon Coin et Abritel, le marché parallèle de la location a explosé dans le Sud de l'île, une des microrégions les plus touristiques de Corse. Ici encore plus qu’ailleurs, le phénomène est d’ampleur. Difficile d’avoir des chiffres précis mais l'impact économique est réel pour les socioprofessionnels du tourisme. Hébergeurs professionnels, hôteliers et propriétaires de camping et de résidences de tourisme ont tiré la sonnette d'alarme contre cette concurrence qu'ils jugent déloyale et qui, selon eux, a une incidence négative sur leur activité et menace leur avenir. César Filippi, propriétaire hôtelier à Porto-Vecchio et président du Cercle des grandes maisons corses, a encore évoqué le sujet il y a quelques jours, lors d'une réunion des paillotiers qu'il était venu défendre. "L'État s'attaque à des professionnels alors qu'il ferait mieux de s'attaquer à ce tourisme parallèle que représente l'offre para-hôtelière." La commune de Porto-Vecchio a pris le problème à bras-le-corps en créant une cellule à l'office municipal de tourisme spécialement dédiée à la traque de ces locations sauvages. Un dispositif doté de moyens importants et de logiciels adaptés à cette mission. "En 2017, nous avons pu récupérer près d'un million d'euros de taxes de séjour. Ce sont 200 locations de plus chaque année qui sont identifiées grâce au travail de cette cellule", indique Florence Valli, adjointe en charge du tourisme à la mairie de Porto-Vecchio. Ce dispositif qui porte ses fruits est aujourd'hui cité en exemple en Corse et même au-delà. N. A.











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