Interview : " Dire qu’il y a trop de touristes, c’est faux ! " - Corse - Vendredi 7 septembre 2018 - @CorseMatin

Roland Dominici.- Hôtelier depuis plus de 30 ans et ancien président de l’observatoire du tourisme de l’ATC, l’homme tient à démentir le phénomène de "surfréquentation" chiffres à l’appui
Roland Dominici est un homme indigné. La lecture de notre récent dossier sur le tourisme (édition du 28 août dernier) ne passe pas. En cause, les propos tenus par les observateurs interrogés sur la fréquentation touristique de l’île ou encore les commentaires sur les réseaux sociaux se plaignant de la présence des touristes. L’ancien président de la commission observation de l’agence de tourisme de la Corse (de 2010 à 2014) et de la coordination des industries hôtelières de Corse (aujourd’hui en sommeil) ne décolère pas et tient à rétablir certaines vérités... chiffrées.
Vous semblez avoir été particulièrement choqué par certains propos tenus dans notre édition du 28 août dernier consacré au "tourisme sous le feu de la critique"...
Bien sûr ! C’est indigne, alors que l’on est encore en pleine saison, de tenir des propos comme ceux que j’ai pu lire. À l’instar de cette commerçante ajaccienne pour qui la"bonne nouvelle" est que les touristes ont "un billet retour" ! La bonne nouvelle, c’est surtout qu’ils ont un billet aller ! Donner l’image que l’on rejette les visiteurs est indigne. Ou encore parler d’emplois "pinz" saisonniers "payés à calci in culu" ... Qu’est-ce que cela veut dire ? On ne vit plus au temps des mercenaires, nos salariés sont bien traités et bien payés, globalement la profession respecte les règles même s’il reste toujours quelques pirates. Si les saisonniers viennent travailler chez nous, c’est qu’ils sont bien traités, sinon ils iraient ailleurs... On ne peut plus laisser dire ça. Et tant que nous aurons une offre de formation sous-dimensionnée en matière de tourisme, nous serons obligés à faire venir de la main-d’œuvre de l’extérieur. Ce n’est que par le biais de la formation, adaptée aux territoires, et en offrant des vrais plans de carrière, que l’on va donner aux jeunes Corses l’envie de rester dans le métier.
Le dossier traite de la surfréquentation touristique sur l’île et des nuisances qu’elle provoque, vous n’êtes pas d’accord avec cette analyse... 
Je me permets de faire un point sur la soi-disant surfréquentation dans l’île en me basant sur les chiffres de 2017. La densité de la Corse avec 330 000 habitants est de 36 habitants au km² pour 8 680 km² et elle reçoit en période de pointe 400 000 visiteurs soit 1,2 fois plus que la population, ce qui porte la densité à 82 habitants maximum au km² pour une population au total de 730 000 habitants au plus fort de l’été : et cela pendant seulement quinze jours . Une densité tout à fait acceptable. Maintenant, il suffit de comparer ces chiffres aux autres îles de Méditerranée. Quand on mesure la population touristique en plein cœur de l’été, on est très loin de leur niveau, sans comptabiliser les touristes présents en masse sur ces destinations.
Je citerai quelques exemples : la Sardaigne avec 1,65 million d’habitants compte 69 habitants/km² pour 24 000 km² soit 2,8 fois la Corse. La Crète, avec 630 000 habitants, compte 75 habitants/km² pour 8 330 km², soit équivalent à la Corse avec une population double de la Corse. Chypre avec 1,18 million d’habitants compte 129 habitants/km² pour 9 250 km², soit une superficie à peine plus grande que la Corse. Les Baléares enfin, avec 1,11 million d’habitants comptent 220 habitants/km² pour 5 000 km²... Et tout cela sans compter les touristes ! Si on compare avec la densité de population des îles d’Outre-mer, on atteint des chiffres encore plus parlants. La Guadeloupe compte 244 habitants/km² pour 1 630 km², la Martinique 328 habitants/km² pour 1 130 km² et La Réunion 339 habitants/km² pour 2 510 km². En résumé dire qu’il y a trop de touristes en Corse est faux ! On est loin du tourisme de masse.


"La bonne nouvelle c’est qu’ils ont un billet aller !"

La pression du tourisme sur certains sites naturels est pourtant une réalité, ne le pensez-vous pas ?
Oui bien sûr, parler de pression sur certains sites emblématiques tels que Bavella, les îles Lavezzi ou encore Scandola ou parler d’équipements insuffisamment calibrés serait plus correct mais je le rappelle, combien de jours dans l’année ? Quinze jours ! Pendant ce laps de temps, 25 % des flux touristiques sont concentrés dans le Sud, ce qui engendre forcément des sites surfréquentés. La problématique est plus celle de la répartition dans l’espace et des équipements publics structurants pour accueillir ces visiteurs que celle du nombre. Le phénomène du développement touristique sur notre île n’a pas du tout été anticipé par les politiques.
Je cite en exemple la déviation de Sainte-Lucie de Porto-Vecchio. Des années que l’on parle de ce contournement et aujourd’hui, on reparle d’une énième étude à mener... Et je ne parle même pas de la sortie sud de Porto-Vecchio : deux ans pour réaliser 500 mètres de travaux ! Idem pour l’assainissement, les infrastructures ne sont pas adaptées, alors forcément en plein été on subit les effets de crête.


"Il faut arrêter de cracher dans la soupe !"

La gestion des sites est-elle selon vous adaptée à ces pics ?
Non, il n’y a aucune gestion cohérente. Aujourd’hui, il faut songer à rendre ces sites payants, comme cela se fait partout ailleurs dans le monde. Aux États-Unis ou ailleurs, vous payez par exemple pour aller dans les réserves naturelles. Le produit encaissé pourrait permettre d’entretenir et d’assurer une gestion durable de ces sites remarquables. Il faut réguler l’accès à ces sites et promouvoir une activité touristique non-prédatrice mais enrichissante pour l’île.
Pouvez-vous comprendre que certains insulaires soient excédés par l’afflux touristique ?
Si la fréquentation touristique dérange la population locale, il faut s’inquiéter de ce que serait la Corse sans cette économie... Quand j’entends à la radio ce retraité qui se plaint des vacanciers, il ne se rend pas compte que ses enfants et ses petits-enfants seraient peut-être obligés de retourner vivre sur le Continent pour gagner leur vie sans cette manne. Aujourd’hui, l’industrie touristique a des retombées directes et indirectes sur tous les secteurs d’activité... Il faut arrêter de cracher dans la soupe et de jeter l’anathème sur la surfréquentation mais gérer, valoriser et développer des flux touristiques maîtrisés dans l’espace et dans le temps, pour permettre un développement économique cohérent, qui préserve notre environnement .
PROPOS RECUEILLIS PAR NADIA AMAR

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Réunions d'information ouvertes au public sur les avantages du classement des meublés de tourisme

Une nouvelle webcam à Santa Giulia