Nanette Maupertuis : « La seule façon pour le tourisme de faire face à la crise est de garder le cap et jouer collectif » @CorseNetInfo

 

Après une saison touristique 2020 marquée par des pertes record, l’incertitude, qui plane sur 2021, et le spectre d’un nouveau confinement sanitaire inquiètent les professionnels du tourisme. La feuille de route spécifique, élaborée par l’Agence du tourisme de la Corse (ATC), est déjà très avancée, mais les négociations avec l’Etat butent sur certaines demandes majeures du secteur. La conseillère exécutive et présidente de l’ATC, Nanette Maupertuis, fait, pour Corse Net Infos, un point d’étape sur les données chiffrées, les avancées effectives et les points de blocage. Elle martèle qu’il faut, plus que jamais, tenir le cap de la vision stratégique du tourisme durable qu’elle a déroulée dès 2016, jouer collectif et intelligent.

Nanette Maupertuis, conseillère exécutive en charge des affaires européennes et internationales, présidente de l’Agence du tourisme de la Corse (ATC), élue au Comité européen des régions. Photo d'achives CNI.



- Les professionnels du tourisme sont très inquiets. Partagez-vous cette inquiétude ? 
- Oui ! Cette inquiétude est naturelle et légitime dans la mesure où les indicateurs de l’année 2020 confirment ce que nous ressentions. L’année a été, c’est une évidence, très mauvaise pour le tourisme. Les chiffres pour la Corse sont terribles : une perte d’environ 50% de la fréquentation, des nuitées et globalement du chiffre d’affaires. Les prévisions sont pessimistes : en ce mois de janvier, il y a très peu, voire pas du tout de réservations, et même de nombreuses annulations depuis que l’on annonce un nouveau confinement. 
  
- Les pertes chiffrées par l’ATC sont proches de celles de l’INSEE, mais le double de celles d’Atout France. Pourquoi une telle disparité ? 
Atout France table sur une perte de 800 millions € pour le tourisme corse. Je leur ai demandé quelle a été leur méthodologie parce que le ressenti des acteurs et les chiffres dont nous disposons conduisent à un montant beaucoup plus important. Je n’ai pas eu de réponse. Ceci dit, à partir du moment où un touriste sur deux n’est pas venu, la dépense touristique, qui est normalement de 3 milliards € par an, a été au moins divisée par deux. La Corse a, donc, au moins perdu en gros 1,5 milliard € de recettes touristiques. Il ne faut pas oublier que le tourisme ne se limite pas à l’hébergement et à la restauration. Concernant la fréquentation et les nuitées, je constate que les ordres de grandeur de l’INSEE sont tout à fait convergents avec ceux établis par l’ATC la semaine dernière. Ces données tendent à démontrer, malheureusement, que le tourisme corse a subi une crise historique sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. 
  
- L’année 2021 s’annonce mal. Pouvez-vous déjà pré-estimer le manque à gagner ? 
- Pour l’instant, on ne peut absolument rien chiffrer. En cela, je rejoins les socio-professionnels. Personne n’est en capacité de dire ce qu’il va se passer cette année dans la mesure où tout va dépendre de la dynamique sanitaire. Il est, néanmoins, temps de mettre en place la feuille de route du tourisme, telle que nous l’avions présentée au Secrétaire d’Etat au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, au mois de septembre dernier.

Nanette Maupertuis et le Secrétaire d'Etat au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, le 10 septembre à Bunifaziu.
Nanette Maupertuis et le Secrétaire d'Etat au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, le 10 septembre à Bunifaziu.
- Justement, certains professionnels prétendent que rien n’a avancé à ce niveau-là. Que leur répondez-vous ? 
- Je m’inscris en faux ! La feuille de route a bel et bien avancé jusqu’en septembre en collaboration avec l’ensemble des socio-professionnels à travers au moins une trentaine de réunions. Le 10 septembre, à Bunifaziu, nous avons présenté les sept grands axes principaux et nous étions tous totalement d’accord, que ce soit l’ATC, les socio-professionnels ou le Secrétaire d’Etat, sur ces orientations. Les points de blocage sont apparus lorsqu’il a fallu caler la volumétrie financière des aides, notamment le soutien à l’investissement aux très petites entreprises (TPE). L’Etat propose 6 millions €, nous avons jugé que c’était, évidemment, insuffisant. J’ai fait part, le 8 décembre dernier, à l’ensemble des socio-professionnels, d’un bilan d’étape et d’autres difficultés, enfin à ceux qui étaient là… Evidemment, lorsqu’on n’assiste pas aux réunions, on n’est forcément pas au courant de l’état d’avancement des travaux ! J’ai fait de même devant le Conseil d’administration de l’ATC le 9 décembre où là-encore tous les professionnels du tourisme sont représentés. 
  
- Quels sont les autres points de blocage avec l’Etat ? 
- L’Etat a, notamment, opposé un refus à deux demandes fortes des socio-professionnels. Il a, d’une part, pour l’instant, refusé la mise en place d’une expérimentation d’un CDI pour les saisonniers. L’idée était de proposer aux saisonniers, en hiver, une formation qui serait prise en charge par les pouvoirs publics. De même, a été rejetée la demande de dérogation en matière de location de meublés. Nous demandions que la Corse bénéficie du même régime que les agglomérations françaises de plus de 200 000 habitants où il y a obligation de demander un permis de louer. Le but est d’éviter les locations illégales qui se multiplient chaque été. Je tiens à faire remarquer que ces mesures ne font pas appel à des investissements financiers, mais sont d’ordre réglementaire ou législatif. Ce sont ces points de blocage qui ont retardé la publication de la feuille de route. 
  
- Alors, qu’est-ce qui a avancé depuis septembre ? 
- Plusieurs mesures sont déjà très avancées. Concernant la transition écologique, des conventions ont déjà été signées avec l’ADEME pour la labellisation éco-responsable et la transition énergétique dans l’hébergement touristique. Nous avons beaucoup progressé sur la création d’une Foncière Tourisme qui permettra de consolider le haut du bilan des entreprises et, donc, de sauvegarder certaines unités de production. Nous avons, aussi, avancé avec Atout France sur la création de nouveaux produits touristiques. Parallèlement, fin novembre, le Conseil exécutif a fait adopter, dans son plan Salvezza è Rilanciu, des mesures d’urgence pour le tourisme, à savoir une dotation pour investissements complémentaires et un plan de promotion exceptionnel à hauteur de 6,5 millions €. Nous sommes en train de monter la campagne de communication pour la prochaine saison. S’y ajoutent les mesures génériques, comme le Fonds Salvezza II qui abonde le Fonds de solidarité nationale pour les entreprises corses, ou encore la prise en charge de la moitié du montant des loyers, des exonérations de charges, ou un système de  bonifications concernant le PGE (Prêt garanti par l’Etat). Les entreprises du tourisme pourront en bénéficier. Ce sont des avancées très positives.

Campagne de communication de l'ATC por la saison 2020.
Campagne de communication de l'ATC por la saison 2020.
- L’Etat avait pourtant promis un accompagnement spécifique pour Lourdes, l’Outre-Mer et la Corse. Qu’en est-il, donc, concrètement ? 
- On ne connait pas l’état d’avancement pour Lourdes et les DOM-TOM. Pour nous, l’enjeu, aujourd’hui, est d’articuler la feuille de route du tourisme corse avec Salvezza è Rilanciu. Le lancement de France Relance en septembre et sa territorialisation ont, quand même, brouillé les pistes. On ne sait plus ce qui relève de France Relance ou ce qui relève de la feuille de route corse. Pour moi, ces deux programmations sont additives et complémentaires, elles ne sont pas substituables. Et puis, tout ne peut pas relever d’une logique projets comme le veut l’Etat : certaines entreprises, comme celles des activités de pleine nature, ont vraiment besoin d’être soutenues. 
  
- Qu’est-ce qui va se passer maintenant et comment voyez-vous les choses ? 
- Nous attendons les nouvelles propositions de l’Etat concernant la volumétrie financière, le CDI saisonnier et les dérogations en matière de locations meublées. Même s’il est difficile de faire des prévisions, je constate que nous avions raison, l’an dernier, pour les tests COVID. Nous avions également raison d’être inquiets pour la saison touristique et d’annoncer, dès le mois de mai, des pertes à hauteur de 50% sur la fréquentation. Nous avions, enfin, raison depuis quatre ans, donc bien avant la crise actuelle, sur la nécessaire transition écologique et numérique du tourisme corse. L’enjeu, aujourd’hui, est d’accroître la chaîne de valeur en articulant toutes les filières du secteur. Ce n’est que comme cela que nous réussirons à tirer vers le haut la destination Corse. L’urgence est de sauver le système productif au lieu de l’endetter, de former les personnels pour la saison prochaine, et d’avoir, grâce aux moyens que nous a octroyés la Collectivité de Corse, une communication intelligente sur le double plan de la réassurance sanitaire et de l’attractivité. Il faut sécuriser au maximum la destination et proposer autre chose dans un contexte qui va être très concurrentiel. Je reste persuadée que la seule façon de faire face à cette incertitude et aux difficultés actuelles est de garder le cap du tourisme durable et de jouer collectif. Il faut arrêter les échanges acerbes par presse interposée qui envoient un signal négatif sur le marché touristique. Ce n’est que dans le calme et la coordination de nos compétences que nous arriverons, peut-être, à amorcer, dès la prochaine saison, une nouvelle trajectoire de croissance. 
  
Propos recueillis par Nicole MARI. 

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